Histoire
1974 > Chargé de la propagande.
Tout commence dans l’ancien quartier de L’Alma-Gare à Roubaix. Après avoir exercé quantité de métiers lesplus hétéroclites permis à un autodidacte forcé, j’avais obtenu un poste d’animateur socio-culturel dans des immeubles du quartier. En réalité, je passais plus de temps à l’APU (l’Atelier Populaire d’Urbanisme) qui menait forte bataille pour éviter la démolition du quartier que les politiques et urbanistes imaginaient remplacer par des barres, des tours et des parkings. Vu que je dessinais pas mal et que dans une vie antérieure j’avais travaillé dans une imprimerie, j’étais chargé de la propagande. En gros je concevais les maquettes des tracts, affiches et plaquettes et je partais sur ma mobylette bleue à Lille les imprimer chez le seul imprimeur anarcho-écolo du coin. Je revenais le soir avec la production du jour posée en équilibre sur le porte-bagages.
1978 – Création de l’imprimerie Almag’art
A la demande d’une assemblée des habitants (APU); je démissionne de mon poste d’animateurs socioculturel pour créer l’imprimerie autogestionnaire du quartier. Nous créons une association regroupant de nombreuses associations, réseaux et syndicats, nous investissons une maison vouée à être démolie, récupérons une “gestetner” de l’imprimeur Lillois et une autre machine d’un centre culturel. Je crée un atelier de sérigraphie grand format. Nous négocions des emplois aidés (T.U.C) et nous imprimons pour tous ceux qui râlent, espèrent, militent…
La première entreprise d’insertion de France.
Un vrai imprimeur nous rejoint. il apporte une machine 45 x 64 cm qui nous permet d’imprimer en grandes séries, tracts, affiches, plaquettes, brochures. Les comités de quartiers, les associations de la Métropole, les syndicats, la Ville de Roubaix et tous les comités de lutte régionaux passent notre portes. Nous sommes plus d’une dizaine à y travailler, la plupart avec des statuts bigarrés de stagiaires, contrats aidés et salariés. C’est une ruche innovante et énervante totalement en dehors des clous, une gestion autogestionnaire très coopérative. Pas de fonds de roulement, des factures quant j’ai le temps, du bricolage à tous les étages, des horaires extensifs en fonction des urgences. Je rédige et je maquette (donc pleins de coquilles), Luc fait de magnifiques illustrations, Arila est notre secrétaire, Dalila vient en stage et pleins d’autres, dont j’ai oublié les noms mais pas les visages, font tourner les machines, sérigraphent, massicottent et assemblent…
Des “mamas” du quartier, constatant que nous avions des machines et du travail, nous présentent leurs rejetons abandonnés de l’école. Elles nous implorent de les prendre en formation et de les caser chez des confrères imprimeurs. C’était parti pour notre activité d’insertion alors que le statut n’existait pas encore (ni les financements). En quelques années, plus de 27 sont passés dans nos locaux pour un avenir radieux.
Mais pourquoi donc un éléphant ?
L’éléphant qui illustre mon logo est le dernier rescapé d’une longue lignée de pachydermes qui ont montré leurs bouilles, ou leurs fesses, dans toutes les communications des structures, que j’ai co-créées ou co-dirigées, antérieures à Résonances. Ces éléphants illustraient alors notre projet d’entreprise citoyenne. L’idée était de contribuer à modifier positivement l’image de la ville de Roubaix, que ce soit par nos réalisations professionnelles ou nos implications citoyennes. Cela se résumait par “donner aux éléphants l’envie de revenir à Roubaix” et oui, car il y avait bien des éléphants à Roubaix et nous les avons fait revenir. Je vous raconte !
Une bonne soupe qui peut faire délirer !
Dans les années 80, notre imprimerie-studio graphique (voir “un peu d’histoire”) était implantée au cœur du quartier de l’Alma-Gare. Co-organisateur de la fête du quartier, nous en faisions le bilan mitigé un midi au restaurant du foyer de personnes âgées. C’est alors qu’est sortie une idée délire : et si nous faisions venir un éléphant ! A cette proposition innovante, un des petits vieux d’une table voisine, entre deux cuillerées de soupes, s’exclama : des éléphants, à Roubaix, ce n’est pas nouveau, il y en avait plein les rues ! Nous avons tous regardé avec suspicion la soupe aux champignons au menu de ce jour.
Sur les traces des Cavalcades roubaisiennes
Enquête menée, il y avait bien eu des éléphants dans les rues de Roubaix, pas à la préhistoire mais au début du 19ème. Ils ont laissé des traces, dans les mémoires, dans les journaux et dans la ville… En pleine épopée industrielle, les frères Vaissier héritent de “la savonnerie du Congo”. Personnages excentriques, résolument modernes se piquant d’orientalisme, tout les oppose aux capitaines d’industrie textile. Ils inventent la savonnette, découpant, parfumant et enrobant de papiers scintillants les gros blocs de savons d’alors. Pour faire connaître leurs produits, ils boudent la réclame et inventent la publicité. Ils font venir un éléphant de Belgique, l’affublent aux armes de la fabrique, passent leurs employés au savon noir et les couvrent de plumes. C’est un cortège époustouflant qui parcourt les rues de Roubaix.
Des nègres d’opérettes cornaquant l’éléphant et distribuant des échantillons de savonnettes chantent à tue tête “avec le savon du Congo, vous ne ressemblerez plus à un négro !!!”
Le succès et la fortune sont assurés. Les frères Vaissier deviennent des industriels iconoclastes, des mécènes éclairés. Ils se font construire un incroyable palais “le Château Vaissier” à l’architecture orientaliste qu’ils voulaient porté par quatre éléphants. De cet édifice mégalomane ne restent plus que des photos et les pavillons orientaux du gardien et du jardinier (rue de Mouvaux).
Ce sont aussi les inventeurs des “Cavalcades roubaisiennes” : ces manifestations ludico-commerciales. Celles de 1903 ont en partie financé la construction de l’hôpital de Roubaix. 20 000 figurants déguisés entourent les chars de toutes les corporations. Des “trains de plaisirs” bondés de Parisiens venant, à Roubaix, assister à ces délires. A chaque événement, Victor Vaissier invente un nouveau savon, un nouveau parfum sous la marque des “Princes du Congo” avec… l’éléphant pour emblème.
La fin des éléphants de Roubaix !
A cette époque épique, Roubaix était connue du monde entier. Des empires industriels s’y créaient, La REDOUTE envoyait son premier catalogue, Jules Guesde était son député, Van Der Meersch obtenait le Goncourt. Roubaix était fière ! Mais Bébé Cadum a savonné les Frères Vaissiers, ruinés par la guerre. Leur Palais fut rasé… Et puis la crise du textile et son lot de misère est arrivée, la ville s’est dégradée, recroquevillée, abandonnée. Les éléphants avaient déserté Roubaix.
Dès lors, les efforts et les initiatives des acteurs locaux étaient vains, la ville avait désespérément mauvaise image !
L’image d’une ville passe par la communication !
L’équipe de salariés des années 80, s’était donnée comme projet de contribuer à redonner bonne image à Roubaix, que ce soit par ses travaux, ses initiatives ou ses implications citoyennes. Un objectif: redonner envie aux éléphants de revenir à Roubaix.
Il ne suffisait pas de faire défiler quelques pachydermes. Il était question de modifier durablement la perception de la ville, par ses habitants, par la terre entière, en apportant notre touche de couleurs, notre sens de la formule, nos implications à toutes les initiatives municipales et associatives qui allaient dans le bon sens.
Et ils sont revenus !
Des quartiers ont produit de l’innovation sociale, des chantiers se sont fait école d’insertion, des cavalcades ont réanimé le cœur de ville, les couleurs du monde se sont affichées, le tissage et métissage sont devenus une marque de fabrique, la notoriété nationale a émergé de la Piscine, l’initiative et l’emploi ont trouvé leur maison, les nanas d’ici et d’ailleurs donnent de la voix, la propreté se traite avec vivacité, c’est sur une friche abandonnée que l’union se sème, des nains de jardin défilent les 32 mars…
ici, on est tellement ailleurs que l’on reste vraiment fiers d’être roubaisiens